L'enseignement d'IHM aux DESS d'Informatique de l'Université de Paris-Sud


Article présenté à l'atelier "Enseignement de l'IHM" des journées IHM'98.
Michel Beaudouin-Lafon, Wendy E. Mackay

Laboratoire de Recherche en Informatique
CNRS URA 410
Bâtiment 490, Université de Paris-Sud
91405 Orsay Cedex

mbl@lri.fr, mackay@lri.fr

Résumé

Cet article présente les enseignements d'Interaction Homme-Machine des deux DESS d'informatique de l'Université de Paris-Sud.

Mots-clés

Enseignement de l'IHM

Introduction

Le département d'Informatique de l'Université de Paris-Sud assure des enseignements de premier, second et troisième cycle. En second cycle, on trouve notamment une licence et une maîtrise d'Informatique, une filière MIAG (Maîtrise d'Informatique Appliquée à la Gestion), et deux DESS. En licence, maîtrise et filière MIAG, les enseignements dédiés à l'interaction homme-machine sont inexistants. Certains modules comme celui d'infographie ou de langages à objets abordent quelques aspects, essentiellement techniques, de la réalisation d'interfaces. Dans les deux DESS, il existe par contre deux modules dédiés à l'IHM.

Le DESS Systèmes et Communication Homme-Machine (SCHM) s'adresse surtout à des étudiants de maîtrise qui se destinent à un domaine spécialisé de l'informatique lié aux systèmes distribués, à l'intelligence artificielle, au génie logiciel et/ou à la communication homme-machine. Le DESS d'Ingénierie Informatique (II) concerne plutôt les étudiants issus de la filière MIAG qui se destinent à la gestion de systèmes d'information.

Au premier trimestre, les enseignements de ces deux DESS sont communs, à l'exception d'un module. En particulier, ils comportent un module d'Ingénierie des Systèmes Interactifs (ISI) qui porte sur les aspects informatiques du développement d'applications interactives. Au second semestre, les enseignements des deux DESS sont différents, à l'exception d'un module commun de Conception et Evaluation des Interfaces (CEI), qui aborde les techniques de conception et d'évaluation centrées sur l'utilisateur. Les étudiants de ces deux DESS ont donc, à l'issue de leur formation, un volume d'enseignement dédié à l'IHM de l'ordre de 40 à 50h, avec une grosse moitié de cours et une petite moitié de TDs.

L'organisation actuelle de ces deux modules est issue d'une longue expérience d'enseignement de l'IHM, depuis l'ouverture de ces DESS en 1985. En particulier, le public étant "très" informaticien (la licence-maîtrise d'Orsay est connue pour être plutôt théorique), nous nous sommes aperçus qu'il était indispensable d'enseigner aux étudiants les outils informatiques de développement d'interface avant de leur parler de facteurs humains ou de méthodes de conception. Ainsi, dans le cours du premier trimestre, les étudiants réalisent un projet de programmation d'une interface. Au second trimestre, ils appliquent les méthodes d'évaluation et de (re-)conception au projet réalisé au premier trimestre.

Le cours d'Ingénierie des Systèmes Interactifs

Au premier trimestre, le cours d'Ingénierie des Système Interactifs présente une introduction au domaine de l'IHM, une sélection d'outils et de méthodes de développement d'interfaces et un approfondissement sur l'interaction graphique 2D (interfaces de style manipulation directe).

Le plan du cours évolue d'une année sur l'autre, reflétant le fait que nous n'avons pas encore trouvé un contenu ni une organisation totalement satisfaisantes. Cette année, le plan était le suivant :

Introduction

Outils de développement pour les interfaces graphiques

Interaction graphique

Architectures logicielles

Le choix de la boîte à outils Tcl/Tk s'est fait après de nombreux autres essais, qui furent tous des échecs : programmation en Xt/Motif, utilisation d'un générateur d'interface commercial, utilisation d'outils développés dans notre groupe de recherche. Tcl/Tk a l'inconvénient indéniable de nécessiter l'apprentissage d'un nouveau langage de programmation, langage d'autant plus difficile à maîtriser par les étudiants qu'il s'agit d'un langage de script, interprété et donc sans contrôle avant l'exécution. L'intérêt de cet environnement, de notre point de vue, est la boîte à outils Tk qui permet de mettre en oeuvre à peu de frais des techniques d'interaction non standard. Nous utilisons notamment le widget "canvas" de Tcl, qui permet de manipuler un ensemble d'objets 2D et de leur affecter des comportements en définissant des liaisons d'événements. Nous avons développé un package qui permet d'utiliser directement les machines à états en Tcl, ce qui permet d'expérimenter aisément des modes d'interaction comme le drag-and-drop, la reconnaissance de marques, etc.

Depuis plusieurs années, le projet donné aux étudiants consiste à réaliser une application permettant de manipuler à l'écran des "Post-It Notes" électroniques. Ce projet a l'avantage d'être de taille raisonnable (il est réalisé en binôme) tout en sortant des trop traditionnelles interfaces de type enchaînement de formulaires et de boîtes de dialogues. Il est demandé aux étudiants de produire un système aussi simple d'utilisation que possible, à l'image des Post-it Notes papier. Malgré cela, chaque année, les étudiants se laissent emporter par une débauche de fonctionnalités qui conduisent à des interfaces lourdes et complexes. Il n'est pas rare que la création d'un Post-It nécessite de remplir un formulaire où l'on spécifie sa taille, sa couleur, son titre, etc., avant de pouvoir écrire dedans. Cela n'est pas surprenant si l'on considère que la majorité des interfaces auxquelles sont confrontés les étudiants sont elles-mêmes lourdes et complexes. En fait le but de ce projet est double : appliquer les connaissances techniques acquises dans ce module, et produire des interfaces qui serviront de point de départ aux TDs et au projet du cours de second trimestre.

Le cours de Conception et Evaluation des Interfaces

Au second trimestre, le cours de Conception et Evaluation des Interfaces présente un ensemble de méthodes pratiques permettant d'évaluer et de concevoir ou re-concevoir une interface. Son but est de montrer comment prendre en compte l'utilisateur durant la conception d'un système et ne pas se focaliser sur le système. Ce n'est pas un cours classique d'ergonomie : il est plus appliqué, et ne présente pas une unique approche théorique. Ce n'est pas non plus un cours sur la conception graphique des interfaces : la mise en page des écrans et l'usage des "widgets" est seulement évoquée.

Le module est constitué de cours (avec démonstrations) et de TDs (avec devoirs). Les cours présentent différents aspects de l'interaction homme-machine, certains théoriques, mais la plupart appliqués. Les démonstrations ont pour but de rendre les cours plus concrets en montrant tel ou tel système ou technique d'évaluation. Le plan du cours et des TDs est actuellement le suivant :

1. Introduction et Méthodes qualitatives :

2. Analyse quantitative et Conception amont :

3. Conception participative :

4. Evaluation

5. Gestion de projets dans l'industrie

Les TDs sont conçus pour donner aux étudiants une expérience pratique de la comparaison et de l'évaluation de projets logiciels, de la production de nouvelles idées de conception, et de la conduite d'expérimentations pour choisir entre plusieurs alternatives de conception. Les devoirs ont pour but de faire réfléchir les étudiants sur ce qui a été vu en TD et de préparer la séance suivante. Les TDs et devoirs guident les étudiants dans le processus de conception, de prototypage et d'évaluation d'une nouvelle interface du système de "Post-it Notes" électroniques. A la fin du module, chaque groupe doit présenter et justifier sa proposition pour une nouvelle version de leur système, sans faire nécessairement de réalisation informatique. Chaque groupe doit également produire un document de 5 pages, destiné à son "management" et qui décrive la proposition.

Nous avons constaté que le principal problème que rencontrent les étudiants est l'analyse d'un problème d'utilisabilité et la justification de leur solution à ce problème. Leur formation antérieure ne les prépare pas bien à ce type d'analyse et ils ont souvent tendance à considérer que si ça marche, il n'y a pas de problème. A la fin du cours, un certain nombre d'étudiants réalisent que leur perception du problème et leur solution n'est pas la seule possible, ni la meilleure, et que l'on peut tirer parti des avis des autres. Un volume horaire plus important permettrait sans doute de mieux faire passer ce message, cependant il nous semble que les étudiants informaticiens sont bien souvent conditionnés pour évacuer les problèmes de conception et difficilement remettre en cause leurs choix.

Conclusion

A l'issue de l'enseignement des deux premiers trimestres, les étudiants partent en stage pour 4 à 6 mois. Il est courant que sur une promotion de 40 étudiants pour les deux DESS, la moitié effectuent un stage dont le sujet est lié à la conception et la réalisation d'une interface graphique, dans des domaines souvent pointus comme la visualisation scientifique, les systèmes d'information géographiques, les systèmes de contrôle-commande, etc. Les quelques 50 heures d'enseignement d'IHM qu'ils ont pour bagage sont certes insuffisantes, cependant nous avons eu plusieurs retours d'étudiants qui, pendant leur stage ou une fois embauchés, ont apporté à leur entreprise une perception nouvelle des problèmes d'IHM.

De toute évidence, la demande du monde industriel est importante dans ce domaine, et il faudrait augmenter le volume d'enseignement pour mieux y répondre, ce qui impliquerait notamment de "descendre" les enseignements d'IHM au niveau de la licence et de la maîtrise. Il y a cependant deux obstacles à cette mutation : d'une part le manque d'enseignants spécialisés dans le domaine, d'autre part la difficulté à organiser un cours. Alors que les TDs et les projets marchent bien, nous ne sommes pas complètement satisfaits du contenu de nos cours. Mais nous ne connaissons pas d'ouvrage pouvant servir de référence pour un enseignement d'IHM comme il en existe dans d'autres domaines (architecture, algorithmique, systèmes d'exploitation, infographie, ...). C'est une tâche à laquelle il nous semble urgent de s'atteler.